Création Théâtre de Poche-Montparnasse - Le Bon Temps
Avec Macha MÉRIL
Textes de Marguerite DURAS
Musiques Michel LEGRAND
Mise en scène Stéphan DRUET TOUKAÏEFF
Régie lumière et régie générale : Anne Gayan
Décor et vidéo : Stéphan Druet Toukaïeff
Sélection des textes : Alain Vircondelet et Jo&eëlle Pagès-Pindon
Durée : 75 minutes sans entracte
Le fil conducteur de Sorcière est cette appréhension directe du monde qu’ont et qu’ont toujours eue les femmes. À tous les âges et à toutes les époques. À travers les évènements de sa propre vie, Marguerite Duras bâtit un chemin original et vibrant, qui la relie aux extra-lucides et aux poètes.
Les femmes comme miroir et comme révélateur. Les femmes dans la joie et dans la souffrance, pas toujours là où on les attend.
Une parole de vérité et de franchise que seule Marguerite Duras a su transmettre avec une telle force.
Les lecteurs de Marguerite Duras savent cela : quand elle parle d’elle, chacun reconnaît l’univers caché qui est en lui. Elle parle des femmes comme personne. On se reconnaît. Je l’ai toujours lue, certaine de ce pacte entre elle et les autres. Et comme les autres j’ai tout retenu : parce que c’était elle, mais d’une certaine manière c’était aussi moi.
Macha Méril
 
Sorcière est un mélange de textes issus de l’œuvre de Marguerite Duras, dont certains parus dans la revue Sorcières, sous-titrée « Les femmes vivent ».
Cette revue littéraire, artistique et féministe, créée par Xavière Gauthier en 1975, disparut en 1982. Marguerite Duras y publia plusieurs textes, qu’elle repris ensuite dans son recueil Outside.
Les autres extraits qui composent ce montage sont issus de plusieurs ouvrages de Duras, dont la liste figure ci-dessous.
La force créatrice de la femme, de l’amour maternel, de l’écriture y déroule un fil conducteur qui guide le choix de ces extraits jusqu’à fabriquer une nouvelle histoire, celle répétitive de la vie et de la mort, du désir, de la solitude, de la peur et du défi. La musique de Michel Legrand tisse un motif musical dans cette trame littéraire, qui devient partition, les mots finissant par agir comme un chant.
« Face à l’absurdité d’un monde sans Dieu, Marguerite Duras oppose ses propres armes de résistance : l’écriture, l’intelligence, la force secrète des femmes.
Sorcière dans la lignée de celles qui, au Moyen Âge, chantaient sous la lune, dans les forêts, elle déploie l’autoroute de sa parole et accède à la pensée magique.
« Cette femme SAIT » disait Lacan. Plus encore, elle est celle qui VOIT,
telle une chamane.
Sentinelle de l’invisible.
Clarté dans la nuit du monde.
Pour lire et jouer ces textes de Marguerite Duras, Macha Méril, magnifique,
seule pour dire, comme une autre Winnie, celle de Oh ! Les beaux jours,
les mots toujours recommencés d’une vie aux prises avec elle-même ».
Alain Vircondelet, auteur, biographe de Marguerite Duras
Baxter, Vera Baxter (film)
Les Parleuses, Marguerite Duras et Xavière Gauthier (Editions de Minuit)
Les lieux de Marguerite Duras (Entretiens avec Michelle Porte, Editions de Minuit)
Outside (POL)
Écrire (Folio Gallimard)
Le monde extérieur (POL)
La vie matérielle (POL)
Revue L’Archibras (2 Octobre 1967)
Détruire dit-elle (Editions de Minuit)
Bande sonore INA (Duras et la fin d’un monde)
Quel est votre lien avec Marguerite Duras ?
Je l’ai rencontrée dans les années 70, et je l’ai beaucoup fréquentée alors.
Nous faisions partie des mêmes groupes qui se mêlaient aux étudiants.
J’ai une aventure avec elle ! Un jour, elle m’a proposé de jouer dans sonpremier film, qui s’appelait
La Chaise longue. Elle avait une sorte de fascinations pour « mon regard russe ». Elle m’emmène
à Londres pour voir Losey, à qui elle souhaitait confier la réalisation du film. Mais
celui-ci refuse car « il ne travaille pas sur des castings imposés ». Sur le chemin du retour,
j’ai dit à Marguerite : « Faites ce film vous-même ! », et de là est sorti,
Détruire, dit-elle, son premier long-métrage. C’est à partir de ces
années là, vers 80, qu’elle a commencé à faire du cinéma.
Comment la considériez-vous ?
Je l’ai beaucoup estimée, je ne lui ai jamais trouvé de défaut. Ce que j’aime chez elle c’est qu’elle n’a pas honte d’être une femme. Elle en est fière. Moi je n’aime pas le mot : « féminisme », mais je trouve admirable sa conscience d’être femme, sans chercher à imiter les hommes. Elle ne s’aimait pas. Mais les femmes l’aimaient, elle les séduisait parce qu’elle était géniale. Mais elle a souffert toute son existence de ne pas être belle.
D’où ce sentiment de solitude qui traverse son œuvre ?
C’est une chamane. Comme artiste, je la comprends. Elle appartient à cette catégorie de gens qui ne vivent pas les choses comme les êtres humains normaux. Ce sont les génies. Michel Legrand était comme ça. Ils essaient de participer à la vie, mais ne peuvent pas faire comme les autres. Marguerite avait une vision presque « mediumnique » de l'existence. Elle était surpuissante. Elle n’était que dans l’écriture, que dans ce qu'elle écrivait.
Vous diriez d’elle que c’est une sorcière ?
Autrefois on lisait l’avenir dans le vol des oiseaux, beaucoup d’écrivains sont fascinés par les forces occultes qui commandent nos vies, par les acteurs de l’invisible. Victor Hugo faisait tourner les tables, Colette consultait une voyante, Tolstoï écoutait le vent et les arbres. Marguerite Duras, elle, sondait l’invisible à travers sa perception féminine du monde. Depuis l’enfance, elle était dotée d’une sensibilité aigüe, qui tapisse son œuvre et sa pensée.
Comment définiriez-vous son écriture ?
Elle est très singulière. Marguerite était très envieuse des auteurs de
théâtre. Mais dans sa propre façon d’écrire, il y a quelque-chose de très
théâtral, très musical. Elle a aussi ce côté transversal, au carrefour de
plusieurs disciplines, le roman, le cinéma, le théâtre, auxquels elle apporte
son style si personnel…
Elle est en dehors des autres.
Son lien avec la vie et la mort vous a-t-il guidés ?
Oui, elle parle de la mort d’une façon unique et pas du tout désespérante. Les femmes fréquentent la vie et la mort avec les naissances, les enfants, les guerres qui emportent les hommes. Mais dans les sociétés occidentales on n’aime pas parler de la mort. Je la définirais ainsi : elle est libre, comme écrivain et comme être humain. Elle dit les choses. Elle place la peur au bon endroit, elle n’est jamais dans la sensiblerie qu’on attribue aux femmes. Elle est droite et imagée. Tout ce qu’elle dit me touche et me donne du courage !
Comment concevez-vous le décor de ce spectacle ?
Il faut que tout soit très nu visuellement sur le plateau. Et très riche dans l’univers sonore. Stéphan Druet Toukaïeff est un magicien des colonnes sonores. Après, c’est à l’acteur de nous emmener. Michel Legrand disait : « Il faut, quand on se présente, faire un exploit ! ». Quand on est très ambitieux, on doit faire confiance au public, on en fait un complice, on l’estime, c’est ce qui se passe au Poche. L’exigence de ce théâtre s’applique aussi bien aux artistes qu’au public. Il y a une sorte de respect mutuel des uns pour les autres, très rare aujourd’hui, et qui en fait la personnalité.
Propos recueillis par Stéphanie Tesson
Nous partons de la boîte noire, comme écrin aux mots de Duras, incarnés par Macha. Macha n’est pas Marguerite Duras, il ne s’agit pas ici d’un biopic. Elle en est la voix, merveilleusement inspirée par le lien qu’elle a entretenu des années durant avec l’écrivain.
Dans la façon de dire le texte de Duras, le travail sur les ruptures est très important. Comme dans un concerto, on passe d’une émotion à une autre, d’une situation à une autre…
La musique joue un rôle capital dans notre spectacle. Nous avons composé une bande son à partir de bruitages, de rumeurs d’ambiances, auxquels se mêle parfois la voix off de Marguerite Duras, extraite d’entretiens. La musique de Michel Legrand, notamment des passages de son Concerto pour violoncelle, absolument bouleversant, s’insère dans cette partition sonore qui dialogue avec le texte dit par Macha.
Le travail sur la lumière est très important. La lumière crée et structure les espaces de jeu sur la scène. Nous avons opté pour une nudité totale du plateau. Rien qui puisse évoquer un lieu quelconque, sinon les mots de l’écrivain et la présence de l’actrice.
Ma rencontre avec Macha remonte à l’Hiver dernier. A la mort de Michel Legrand, nous avons créé au Théâtre de Poche, Daphné Tesson et moi, un spectacle autour de son œuvre, appelé Michel for Ever. Macha nous a beaucoup aidés et nous a, en quelque sorte, parrainés. Nous avons eu envie de travailler ensemble. Macha avait lu à Trouville Une chambre au-dessus de la mer, montage de textes choisis par Alain Vircondelet, dans le cadre du Prix Duras. Elle a souhaité poursuivre cette expérience sur scène, à partir d’autres écrits de Marguerite Duras, en créant un véritable objet théâtral : Sorcière. Le Théâtre de Poche, avec lequel j’entretiens une collaboration artistique depuis plusieurs années sait donner aux auteurs une place de choix, et aux acteurs la possibilité de transmettre les textes dans un rapport de proximité et d’exigence d’écoute avec le public.
C’était il y a mille ans, par ici, dans ces forêts au bord de l’Atlantique… Il y avait des femmes… la mer. Nuit. Au-dessus, sauvage, la mer compacte de forêts plongées dans la nuit. La mer et la forêt. Encre noire d’une nuit millénaire.
Leurs maris étaient loin, presque toujours à la guerre du Seigneur, et elles restaient parfois pendant des mois dans leurs cabanes, seules, au milieu de la forêt, à les attendre. Et c’est comme ça qu’elles ont commencé à parler aux arbres, à la mer, aux animaux de la forêt… On les a brûlées…
Extrait de Baxter,Vera Baxter
L’avenir est féminin. Je dis ça un peu tristement parce que j’aimerais bien qu’il soit de
deux genres, mais je crois qu’il est féminin. Les hommes sont malades de cette maladie-là,
la virilité, la virilité encore et encore.
J’aime les hommes, je n’aime que ça.
Extrait de Le Monde extérieur
Écrire : tenter de traduire l’intraduisible. De rendre lisible l’illisible. Etre à
l’écoute de l’ombre interne : la lymphe nourrissante ou empoisonnée mais qui échappe
à toute analyse. Là se situent les archives de soi.
C’est une donnée commune. Si on ne le sait pas, c’est qu’on la refuse en tant que
donnée commune, qu’on la contourne. Contournée, l’ombre interne se mure et meurt
dans le cercueil du moi.
Extrait de L’Archibras
Romancière, cinéaste, auteur dramatique, Marguerite Duras est née en
Cochinchine, pays qui sert de cadre à plusieurs de ses œuvres. Le Square
(1955), sa première œuvre jouée au théâtre, est à l’origine un roman
dialogué. D’ailleurs, les textes durassiens se situent très souvent dans un no man’s land entre
théâtre, roman et cinéma. Duras pratique volontiers la réécriture et le
recyclage de ses propres textes. Ainsi, la pièce de facture traditionnelle
Les Viaducs de la Seine-et-Oise de 1960 va devenir L’Amante anglaise en 1968 : à partir
du fait-divers qui est au centre de la pièce souche, Duras invente un théâtre
entièrement neuf, fondé sur l’adresse au public, sur le récit de vie, sur la relation
de la mémoire à l’oubli. Autre exemple : La Musica, sa pièce aux accents
strindbergiens, se prolonge en La Musica deuxième. En fait, l’auteur ne cesse notamment
dans L’Éden cinéma ou dans Agatha, de nous proposer des variations sur sa propre
autobiographie, élaborant ainsi son mythe personnel. En 1969 elle passe à la réalisation
cinématographique avec Détruire, dit-elle, puis La Femme du Gange et
India Song, d’abord pièce de théâtre avant de devenir scénario,
ainsi que quatre courts-métrages. Les années 80 voient son activité se
multiplier avec Savannah Bay, La Maladie de la mort et en 1984 L’Amant, un roman
largement autobiographique reprenant la trame de son enfance.
En 1985 elle met en scène La Musica deuxième au Théâtre
Renaud-Barrault, puis elle publie Yann Andréa Steiner (1992, éditions POL),
Écrire (1993, Gallimard) et C’est tout (1995, éditions POL). Marguerite Donnadieu,
dite Marguerite Duras, s’est éteinte le 3 mars 1996 à son domicile parisien de Saint-Germain
des-Près.
Source : Anthologie de L’avant-scène théâtre – Le théâtre français du XXe
Née de parents russes réfugiés en France après la révolution d’Octobre, Marie-Madeleine Gagarine est devenue Macha Méril à 16 ans, quand elle a fait son premier film à Paris, La Main Chaude de Gérard Oury. Élève du cours Dullin au TNP, elle part pour les USA où elle passe deux ans à l‘Actor’s Studio et tourne quelques films à Hollywood. De retour en France, elle tourne Une Femme Mariée de Jean-Luc Godard qui la révèle internationalement. Elle se partage entre le théâtre (l’Éloignement de Loleh Bellon, La Mouette de Tchekhov à l’Odéon, Bel-Ami d’après Maupassant, L’importance d’être Constant de Wilde au théâtre Antoine, La légende d’une vie de Zweig au théâtre Montparnasse, etc.) le cinéma, la télévision et l’écriture. Son dernier roman Vania, Vassia et la fille de Vassia chez Liana Lévi renoue avec ses origines. Jurée du Prix Marguerite Duras depuis vingt ans, elle cultive un lien privilégié avec l’écrivaine.
Après sa formation de comédien à l’école du Passage, aux cours Véra Gregh, au conservatoire du 10e arrondissement de Paris et à l’ENSATT, Stéphan Druet Toukaïeff interprète différents rôles et travaille le clown avec Les Octavio dont il est l’un des créateurs. En 1993, il crée sa compagnie et monte des spectacles de cabaret. Il écrit et met en scène son premier spectacle, Le retour sans retard de Martin Tammart, pour seize comédiens où se mêlent amour, musique, rire et danse ; puis Barbe-Bleue d’Offenbach sera le démarrage d’une étroite collaboration avec la compagnie Les Brigands : Geneviève de Brabant, Le Docteur Ox, Ta bouche (Nommé aux Molières et au Diapason d’Or) et Toi c’est moi (Nommé aux Molières). Il monte Don Juan, L’illusion comique, Le songe d’une nuit d’été, Femmes d’attente, Miramè, des spectacles musicaux comme Parades avec le groupe vocal Indigo, Audimat, Des airs du temps de Sébastien Lemoine. En 2008, il co-met en scène avec Julie Depardieu Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Il part à Buenos Aires et met en scène Une visite inopportune de Copi. Il écrit et met en scène Amor Amor à Buenos Aires à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance de l’Argentine. Puis, Les divas de l’obscur, Avarice au pays des groseilles, Renata, Oh la-la oui oui ! le spectacle musical des années folles version swing. Puis écrit et met en scène Evita, amour, gloire, etc.… pour lequel il reçoit le prix de La Fondation Charles Oulmont. Il met en scène Pour l’amour du fisc, puis Histoire du Soldat, pour lequel il obtient le prix de la critique et une nomination aux Molières, ainsi que le nouveau spectacle des Caramels fous. Il fait partie de la création Micro Théâtre, y écrit et met en scène La Laundrette. Il a mis en scène l’opérette policière Azor, créé Berlin Kabarett ainsi que Michel for ever avec Daphné Tesson.
Michel Legrand est un compositeur hors normes qui a brisé les frontières entre la musique symphonique, la chanson, le jazz et la musique de film. Célèbre pour les comédies musicales créées avec Jacques Demy Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort et Peau d’Âne, il a remporté trois Oscars à Hollywood pour L’affaire Thomas Crown dont est issue la chanson Les moulins de mon Cœur, Été 42 et Yentl. Il a composé des œuvres classiques dont le Concerto pour violoncelle et leConcerto pour piano enregistrés par Sony en 2017 avec l’Orchestre Philarmonique de Radio France dirigé par Mikko Franck. Michel Legrand est décédé en janvier 2019 en laissant plusieurs œuvres inédites que son épouse Macha Méril s’est engagée à faire connaître au fervent public de ce grand musicien.